C'est vrai quoi, 15 minutes de nav' ce n'est quand même pas beaucoup, surtout quand le bateau se comporte bien sous sa petite voilure réduite à deux ris. Et le lendemain, le manque de sommeil m'a fait me dégonfler pour une belle ballade dans les jardins de Kerieg. Mais ce n'est que partie remise !
Du coup, rentré à la maison, au lieu de remiser le bateau, j'ai lancé le plan B, à savoir la rade de Brest qui me fait de l’œil depuis quelque temps. La météo me donne un créneau de trois jours corrects avant que ça ne se gâte encore. La cambuse est remplie, j'échange le duvet d'été contre celui d'hiver (c'est quand même la Bretagne...). Et donc mercredi midi je prends la route, direction Trégarvan et sa belle cale que j'avais déjà utilisée lors de la route du sable. Hyper motivé, je roule deux heures et demi sous le crachin, qui ne cessera pas de la journée.
Mise à l'eau à 17h30, c'est parti pour un programme de 48 heures sans mettre pied à terre !
Je commence tranquille par une remontée de l'Aulne jusqu'à l'écluse de Port Launay, d'abord sous voile ça avance vite, puis la rivière se resserrant et devenant de plus en plus abritée, je finis par sortir les avirons. Je m'en serais bien passé, je n'étais pas pressé, mais se faire doubler par un kayak est un peu vexant...
Bref je finis par jeter ma pioche à 21h30 dans un coin tranquille de la rivière, et je peux enfin monter ma tente et préparer ma petite cuisine. Suivant les conseils de ma Bible "The dinguy cruising companion", mon frêle esquif est en effet équipé façon palace, avec espace cuisine à l'avant et living room à l'arrière.
Je vous laisse juger comment c'est cosy :

Le grand luxe je vous dis ! Bon, il y a bien un peu de courant d'air, mais la pluie reste à l'extérieur. Au menu : ravioli en boite...
Au matin, le brumisateur géant qui m'avait rafraîchi toute la journée d'hier s'est enfin arrêté. Après une nuit coincée entre un matelas pas assez épais et un banc trop bas, un bon café/pain au choc achève de me réveiller et c'est vers 10h que je commence à redescendre l'Aulne aux avirons, bien aidé par le courant. Dès que la rivière s'élargit la voile est hissée et me propulse gentiment jusqu'au pont de Térenez et le cimetière à bateaux de la Marine : Aconit, Duguay Trouin et Albatros attendent là leur dernier voyage.


Comme il est déjà 14h30, je jette l'ancre pour un petit pique-nique et j'étudie la carte pour commencer mon exploration du fond de la rade. Le vent souffle Ouest-sud-ouest, force 4B et lève un petit clapot. C'est parti pour un bord de vent arrière, avec un ris, où l'eau s'écarte de peur devant moi. Pas de GPS à bord, donc je ne peux qu'estimer ma vitesse à au moins 8 nœuds, du pur plaisir ! Mais après les bords de près s'annoncent, et je prends le deuxième ris. J'essaie toujours de me rappeler que je navigue en mode croisière et que l'objectif est de ne pas embarquer (trop) d'eau. Et là les bords s'enchaînent tranquillement, sans que le bateau soit bousculé. Ok, j'embarque un peu d'eau quand une vague claque sur le côté, mais le bateau garde une gîte limitée et reste toujours sous contrôle. En larguant l'écoute et en bloquant la barre au centre, le bateau garde une cape tranquille qui me laisse le temps d'écoper si besoin. Bref, navigation tonique mais agréable, et mon petit esquif continue à m'étonner par ses capacités.
Je finis par rentrer dans la rivière de l’Hôpital pour chercher un abri pour la nuit. Le vent soufflant toujours un peu fort, je ne monte pas la tente (qui n'est encore qu'un brouillon et pas super efficace ni résistante) et dors à la belle étoile, bien emballé dans mon duvet. Miracle, la météo ne s'est pas trompée et il ne pleut pas !
Mais la météo a aussi prévu du vent forcissant pour vendredi : 3-4B de bon matin, passant à 4B rafales à 6B dès 11h. Et force 5 rafales à 6-7 l'après-midi. Autrement dit il va falloir se réveiller tôt pour être rentré avant la brafrougne...

6h30, le réveil sonne. Café/pain au choc', le menu n'est pas très varié au petit-déj. Je sors de la rivière aux avirons, ça achève de me réveiller. Deux ris dès que je hisse, on reste prudent. Tellement prudent que dans les molles du matin, je n'avance pas et repasse au premier ris. Je retrouve rapidement l'entrée de l'Aulne, et je reste scotché sous le pont de Térenez faute de vent dans cette partie bien engorgée... Pourtant à voir les nuages qui filent au dessus de ma tête, il y a bien du vent quelque part ! Je largue le ris, je surveille les petites risées qui viennent tantôt de tribord, tantôt de bâbord et finis par m'extirper de ce goulet.
Il est 11h, plus qu'un mille à parcourir et j'arriverai à la cale de Trégarvan. La rivière est moins abritée, le vent souffle plus fort et la barque fonce, vent arrière. J'aperçois la cale, je commence déjà à prévoir quelle belle manœuvre va m'amener à quai, plus que deux cent mètres, et là, selon l'expression d'un maître expert en la matière, Plouf ! Sur une rafale plus forte dans ma misaine hissée à bloc, le bateau tangue, la bôme s'élève à bâbord, je lâche l'écoute, la voile s'envole et fait chavirer sur tribord ! Me voilà en train de barboter à côté d'Emma, je prends le temps de vérifier que rien ne part à la dérive (tout est attaché, mais le bidon étanche qui contient clés, porte-feuille et téléphone arrive à se détacher... fixation à revoir !). Redresser le bateau en montant sur la dérive n'est pas difficile, mais j'embarque trop vite et fais rechavirer. Le deuxième essai, voile affalée cette fois-ci, est plus fructueux. À noter que mon pare-battage fixé à demeure sur le côté du bateau m'a été bien utile pour grimper à bord, mais une sangle plus longue aurait été plus pratique. Après, il suffit de se réchauffer en écopant au seau de 14l histoire de se débarrasser des quelques centaines de litres en trop, toujours sous la surveillance du voilier qui s'était dérouté pour me porter assistance. Un peu de rangement, et je peux gagner la cale aux avirons. Ne reste plus qu'à remonter le bateau sur sa remorque. Vent et courant de travers, marée descendante, j'ai déjà connu ça l'année dernière et ça s'était terminé par un bateau bloqué à côté des rouleaux de la remorque sur une cale déjà asséchée. Pas de problème cette année, je me suis au moins amélioré de ce point de vue là !
Moi qui repoussais toujours le test du dessalage, maintenant c'est fait ! Je note que le bateau plein d'eau flotte et reste stable, que le niveau d'eau est inférieur au puits de dérive, que le coffre arrière est resté étanche (pas une goutte !), mais que le franc-bord restant n'est pas très élevé. Après l'expérience de Dremmwel à Ploumanac'h, j'avais remisé mon gilet auto dans le coffre et portais mon gilet de kayak, il ne m'a gêné du tout. Pantalon, cirés, pull et veste de quart trempés pèsent lourd quand il s'agit de remonter à bord.
À améliorer : réserves de flottabilité sous les bancs latéraux, et un système de sangles pour faciliter la remontée. La cambuse mériterait aussi d'être rendue étanche, mais comme tout l'avitaillement était sous emballage individuel, pas de nourriture gâchée !
Voilà, c'était le petit récit de mon aventure. Je n'ai pas passé 48 heures sur l'eau comme prévu, juste 42h. Rien d'extraordinaire, mais c'est cette vision du voile-aviron qui m'avait poussé à construire Emma, et c'est un peu un accomplissement pour moi. Le nombre de milles parcourus est ridicule, je suis resté dans le fond de la rade, et pour finir j'ai terminé à la patouille, bref j'ai adoré.
